10 mars 2004

Au Kosovo, Mitrovica divisée rejette le projet de réunification

Les Albanais et les Serbes de Mitrovica ne sont d’accord que sur un point, le dernier projet européen de réunification de la ville ne marchera pas. Les deux communautés se rejettent néanmoins la responsabilité de faire le premier pas.

    

Publié dans la presse : 10 mars 2004
Mise en ligne : dimanche 14 mars 2004

Par Tanja Matic traduit par Pierre Dérens

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« Il faudra que tu enlèves tes plaques d’immatriculation du Kosovo si tu veux entrer au nord de Mitrovoca », nous a dit l’officier de police. « C’est dangereux de conduire ici avec les plaques que tu as, et même la police ne pourra pas t’ aider ».

Cinq ans après la partition en zone albanaise et zone serbe, la ville demeure totalement divisée, et la dernière initiative de l’UE pour résoudre les problèmes trouve peu de soutien.

En visite à Pristina le 24 février, Javier Solana, le responsable européen des affaires étrangères a promis une solution rapide.« Beaucoup de travail a été fait pour résoudre la question de Mitrovica. Je pense qu’il faudra que ce problème soit résolu avant la mi-2005 ».

Mais sur place, on est moins affirmatif. Même si les check points ont disparu et si la MINUK prétend travailler dans le nord de la ville, partie serbe, ni les habitants ni leurs représentants politiques n’accordent une grande confiance aux projets internationaux.

Le dernier projet, élaboré par l’European Stability Initiative (ESI), une agence de conseil auprès de l’UE, se propose de créer deux municipalités séparées à Mitrovica, à condition que les biens des personnes déplacées, de chaque côté, soient rendus à leurs propriétaires légitimes. Ceux qui soutiennent ce projet espèrent que les deux côtés forgeront éventuellement de nouveaux liens en commerçant ensemble.

Quoi que le projet puisse être adopté par la stratégie de la MINUK, à Mitrovica, aucune des deux communautés ne manifeste d’enthousiasme. Le groupe ethnique le plus important, celui des Albanais, rejette l’idée même d’une division formelle, parce qu’ ils seraient les plus forts dans une Mitrovica réunifiée.

Les Serbes sont plus enclins à accepter a division de la ville, mais ne sont pas prêts à rendre les biens au nord qui appartiennent aux Albanais déplacés. « La MINUK devrait faire du nord et du sud une seule ville et ne pas permettre que le nord se sépare », explique pour sa part Mustafa Plana, maire albanais du sud de Mitrovica.

Les Serbes locaux tremblent à cette seule idée. Beaucoup n’ont aucune envie de revenir dans leur ancienne maison au sud et souhaitent que la situation en reste là où elle se trouve. « Je ne voudrais jamais revenir », confie Svetislav Galjak, un ouvrier du sud ayant vécu au nord depuis juin 1999, quand des milliers de Serbes ont quitté leur maison à cause des raids de l’OTAN. « Je vendrai plutôt mon appartement si jamais on me le redonne ».

Depuis 1999, quand l’armée yougoslave s’est retirée du Kosovo, la rivière Ibar fait fonction de nouvelle frontière à l’intérieur du Kosovo, séparant et la ville et le territoire en deux zones ethniques - le nord relié à la Serbie et le sud avec le reste du Kosovo.

Le nord n’a jamais vraiment accepté l’administration de la MINUK et demeure sous le contrôle quotidien de la Serbie. Avec son propre hôpital et son Université, il est devenu le seul centre urbain pour les Serbes qui restent au Kosovo.

En dépit de la détermination de la MINUK à établir ses propres institutions dans le nord, les ensembles serbes fonctionnent comme par le passé. Ici, la présence de la police ou des tribunaux de la MINUK est symbolique et fortement rejetée.

Alors que les Albanais ont peur que la rivière Ibar devienne une véritable frontière, la situation qui se maintient prouve aux Serbes qu’ils demeurent encore symboliquement au Kosovo. Cela donne aussi au gouvernement serbe un atout pour trancher sur l’avenir du Kosovo.

« Pour beaucoup de gens à Belgrade, Pristina et dans la communauté internationale, Mitrovica est un enjeu politique », expliqué Gérald Knaus, directeur de ESI. « Nous essayons de sauver une ville industrielle qui se meurt ».

Une ville qui se meurt

Des données récentes suggèrent que Mitrovica a perdu 20 % de sa population depuis le recensement de 1981. Le chômage est élevé. D’après Musa Mustafa, correspondant albanais du journal Koha Ditore, qui vivait au nord contrôlé par les Serbes, les gens qui en ont les moyens s’en vont. « Les gens instruits vont à Belgrade et Pristina et laissent la ville mourir ».

Depuis 1999, les deux côtés de la ville ont évolué comme des sociétés différentes. Au sud de Mitrovica, les Albanais ont construit des maisons à plusieurs étages, des restaurants, la plupart du temps sans permis de construire et avec de l’argent envoyé par des travailleurs à l’étranger. Le nord a des tas de petits kiosques et des étals où d’anciens travailleurs du complexe minier de Tepca font du petit commerce, vendant des biens de seconde main.

Le gouvernement serbe paie pour maintenir le nombre de Serbes en ville, donnant un double salaire au personnel des écoles et de l’hôpital. Des deux côtés, les gens gagnent de l’argent liquide en louant des logements aux officiels internationaux. Même si la source d’argent extérieur va se tarir, et si les deux communautés vont souffrir de la division, aucune n’est prête à passer un compromis. Chacun insiste pour dire qu’il commencerait bien à faire le premier pas, tout en accusant l’autre de ne pas vouloir faire de même.

Qui fera le premier pas ?

« La plupart des points du nouveau plan pourraient être accepté par les Serbes, ce sont les Albanais qui ne vont pas être d’acord », explique Oliver Ivanovic, député serbe au Parlement du Kosovo. « Le plan de l’UE n’aura aucun succès parce que les Serbes ne sont pas intéressés », rétorque Musa Mustafa.

Mais au bout du compte, Musa Mustafa a peur que les Albanais de Mitrovica ne soient obligés d’accepter la division de la ville de façon permanente, comme prix à payer pour que le Kosovo devienne indépendant de la Serbie. « Les gens comprennent que cette ville a été de facto divisée et qu’il n’y aura pas de retour en arrière ».