« Il faudra que tu enlèves tes plaques dimmatriculation
du Kosovo si tu veux entrer au nord de Mitrovoca », nous a dit lofficier de
police. « Cest dangereux de conduire ici avec les plaques que tu as, et même
la police ne pourra pas t aider ».
Cinq ans
après la partition en zone albanaise et zone serbe, la ville demeure totalement divisée,
et la dernière initiative de lUE pour résoudre les problèmes trouve peu de
soutien.
En visite à
Pristina le 24 février, Javier Solana, le responsable européen des affaires étrangères
a promis une solution rapide.« Beaucoup de travail a été fait pour résoudre la
question de Mitrovica. Je pense quil faudra que ce problème soit résolu avant la
mi-2005 ».
Mais sur
place, on est moins affirmatif. Même si les check points ont disparu et si la MINUK
prétend travailler dans le nord de la ville, partie serbe, ni les habitants ni leurs
représentants politiques naccordent une grande confiance aux projets
internationaux.
Le dernier
projet, élaboré par lEuropean Stability Initiative (ESI), une agence de conseil
auprès de lUE, se propose de créer deux municipalités séparées à Mitrovica, à
condition que les biens des personnes déplacées, de chaque côté, soient rendus à
leurs propriétaires légitimes. Ceux qui soutiennent ce projet espèrent que les deux
côtés forgeront éventuellement de nouveaux liens en commerçant ensemble.
Quoi que le
projet puisse être adopté par la stratégie de la MINUK, à Mitrovica, aucune des deux
communautés ne manifeste denthousiasme. Le groupe ethnique le plus important, celui
des Albanais, rejette lidée même dune division formelle, parce qu ils
seraient les plus forts dans une Mitrovica réunifiée.
Les Serbes
sont plus enclins à accepter a division de la ville, mais ne sont pas prêts à rendre
les biens au nord qui appartiennent aux Albanais déplacés. « La MINUK devrait
faire du nord et du sud une seule ville et ne pas permettre que le nord se
sépare », explique pour sa part Mustafa Plana, maire albanais du sud de Mitrovica.
Les Serbes
locaux tremblent à cette seule idée. Beaucoup nont aucune envie de revenir dans
leur ancienne maison au sud et souhaitent que la situation en reste là où elle se
trouve. « Je ne voudrais jamais revenir », confie Svetislav Galjak, un ouvrier
du sud ayant vécu au nord depuis juin 1999, quand des milliers de Serbes ont quitté leur
maison à cause des raids de lOTAN. « Je vendrai plutôt mon appartement si
jamais on me le redonne ».
Depuis 1999,
quand larmée yougoslave sest retirée du Kosovo, la rivière Ibar fait
fonction de nouvelle frontière à lintérieur du Kosovo, séparant et la ville et
le territoire en deux zones ethniques - le nord relié à la Serbie et le sud avec le
reste du Kosovo.
Le nord na
jamais vraiment accepté ladministration de la MINUK et demeure sous le contrôle
quotidien de la Serbie. Avec son propre hôpital et son Université, il est devenu le seul
centre urbain pour les Serbes qui restent au Kosovo.
En dépit de
la détermination de la MINUK à établir ses propres institutions dans le nord, les
ensembles serbes fonctionnent comme par le passé. Ici, la présence de la police ou des
tribunaux de la MINUK est symbolique et fortement rejetée.
Alors que les
Albanais ont peur que la rivière Ibar devienne une véritable frontière, la situation
qui se maintient prouve aux Serbes quils demeurent encore symboliquement au Kosovo.
Cela donne aussi au gouvernement serbe un atout pour trancher sur lavenir du Kosovo.
« Pour
beaucoup de gens à Belgrade, Pristina et dans la communauté internationale, Mitrovica
est un enjeu politique », expliqué Gérald Knaus, directeur de ESI. « Nous
essayons de sauver une ville industrielle qui se meurt ».
Une ville qui se meurt
Des données
récentes suggèrent que Mitrovica a perdu 20 % de sa population depuis le recensement de
1981. Le chômage est élevé. Daprès Musa Mustafa, correspondant albanais du
journal Koha Ditore, qui vivait au nord contrôlé par les Serbes, les gens qui en ont les
moyens sen vont. « Les gens instruits vont à Belgrade et Pristina et laissent
la ville mourir ».
Depuis 1999,
les deux côtés de la ville ont évolué comme des sociétés différentes. Au sud de
Mitrovica, les Albanais ont construit des maisons à plusieurs étages, des restaurants,
la plupart du temps sans permis de construire et avec de largent envoyé par des
travailleurs à létranger. Le nord a des tas de petits kiosques et des étals où danciens
travailleurs du complexe minier de Tepca font du petit commerce, vendant des biens de
seconde main.
Le
gouvernement serbe paie pour maintenir le nombre de Serbes en ville, donnant un double
salaire au personnel des écoles et de lhôpital. Des deux côtés, les gens gagnent
de largent liquide en louant des logements aux officiels internationaux. Même si la
source dargent extérieur va se tarir, et si les deux communautés vont souffrir de
la division, aucune nest prête à passer un compromis. Chacun insiste pour dire quil
commencerait bien à faire le premier pas, tout en accusant lautre de ne pas vouloir
faire de même.
Qui fera le premier
pas ?
« La
plupart des points du nouveau plan pourraient être accepté par les Serbes, ce sont les
Albanais qui ne vont pas être dacord », explique Oliver Ivanovic, député
serbe au Parlement du Kosovo. « Le plan de lUE naura aucun succès parce
que les Serbes ne sont pas intéressés », rétorque Musa Mustafa.
Mais au bout
du compte, Musa Mustafa a peur que les Albanais de Mitrovica ne soient obligés daccepter
la division de la ville de façon permanente, comme prix à payer pour que le Kosovo
devienne indépendant de la Serbie. « Les gens comprennent que cette ville a été
de facto divisée et quil ny aura pas de retour en arrière ». |