17 mars 2004

Kosovo : le jour et la nuit où tout a basculé

De très violents incidents ont éclaté mercredi au Kosovo, aux abords du village serbe de Caglavica, près de Pristina, et surtout dans le ville divisée de Mitrovica. D’après le dernier bilan en date, dressé jeudi en début de matinée par l’ONU, on compterait au moins 22 morts et plus de 500 blessés. Les troupes internationales de la KFOR paraissent débordées. Les responsables de la MINUK évoquent une « nuit de cristal » contre les Serbes, tandis que de nombreuses manifestations, parfois violentes, ont éclaté à Belgrade et dans les grandes villes de Serbie.

    

Publié dans la presse : 17 mars 2004

A lire également : Un correspondant du Courrier des Balkans blessé à Belgrade

Retrouvez cet article sur la Toile : [ www.balkans.eu.org ]
© 2004 Tous droits réservés Le Courrier des Balkans    

     

Dans la presse : [ autres articles ]

  

 

Mardi soir, une bagarre entre des jeunes Serbes et s’est soldée par une mortelle course poursuite. Trois enfants albanais se sont noyés dans la rivière Ibar, qui marque la séparation entre les secteurs serbes et albanais de cette ville de 80 000 habitants du nord du Kosovo.

Mercredi matin, des manifestants albanais ont tenté de pénétrer dans le secteur serbe, au nord de l’Ibar. Des tirs ont alors rapidement éclaté aux abords du pont. Parmi les cinq victimes albanaises des affrontements, deux ont été tués par balle, ainsi qu’une femme serbe, qui a été touchée sur la terrasse de son appartement. Un autre Serbe a été tué dans la partie nord de la ville.

Très vite débordés, les soldats de la KFOR, la force internationale de maintien de la paix installée au Kosovo depuis juin 1999,compteraient 12 blessés, dont 3 grièvement atteint. Un soldat français serait décédé, mais cette information doit être confirmée.

Dans le même temps, des affrontements éclataient également aux abords du village serbe de Caglavica, à deux kilomètres de Pristina. Depuis lundi soir, les Serbes de ce village ont en effet érigé un barrage qui bloque la route nationale menant vers Skopje, en Macédoine, après qu’un adolescent a été blessé par balles par des inconnus. En milieu d’après-midi, des manifestants albanais auraient percé le barrage, suscitant un début de panique à Caglavica, où des civils serbes commençaient à se rassembler en vue d’un départ forcé, mais des renforts de la KFOR ont pu être déployés. En fin d’après-midi, des snipers ont ouvert le feu sur le village, blessant dix civils serbes.

Ces incidents sont les plus graves qu’ait connu le Kosovo depuis l’instauration du protectorat des Nations unies, en juin 1999. En février 2000, Mitrovica avait connu plusieurs journées d’émeute, mais le bilan humain était toujours resté bien plus limité. Les violences risquent d’enterrer le processus de normalisation de la ville de Mitrovica, amorcé depuis deux ans, et qui se traduisait notamment par un allègement des barrages et des check-points entre les secteurs serbes et albanais. L’Union européenne avait récemment formulé un nouveau projet de réunification de la ville, qui avait cependant été rejeté par les représentants serbes aussi bien qu’albanais.

La violence s’étend à tout le Kosovo

Les violences se sont étendues à d’autres régions du Kosovo. La situation est particulièrement alarmante dans la région de Gnjilane, où toutes les maisons serbes ont été incendiées dans l’après-midi. Dans la nuit, on était sans nouvelle d’environ 200 Serbes de la région. Des véhicules serbes auraient également été arrêtés sur la route Bujanovac - Gnjilane, et leurs occupants sont portés disparus ;

Des sources serbes font également état d’incendie à Prizren, contre l’église orthooxe et la faculté de théologie de la ville. Des incendies et des affrontements se sont également produits à Lipljane, où quatre Serbes ont été tués.

Sous couvert de l’anonymat, des responsables de la MINUK parlent d’une « nuit de cristal » contre les Serbes du Kosovo. Selon des informations communiquées par l’AFP, des groupes d’hommes armés quitteraient la Drenica pour se diriger sur Mitrovica.

Manifestations en Serbie

Les heurts interethniques au Kosovo ont provoqué de vives réactions en Serbie, notamment de la part des réfugiés serbes originaires de cette province sous administration internationale depuis juin 1999.

Des manifestations ont eu lieu mercredi dans les grandes villes de Serbie : Belgrade, Novi Sad, Nis. Dans cette dernière ville, la mosquée du centre-ville, construite en 1720, a été incendiée peu avant 23 heures. Les manifestants ont entravé l’action des pompiers qui n’ont pas pu maîtriser l’incendie. La circulation était par ailleurs bloquée dans le centre-ville par plusieurs centaines de personnes et des chauffeurs de taxis. A Novi Sad, plusieurs centaines de citoyens se sont rassemblés après 22 heures devant le siège du gouvernement provincial où l’on pouvait entendre les slogans suivants, « Nous ne donnons pas le Kosovo », « Réveille-toi, Serbie ».

Dans la capitale, plusieurs milliers de personnes ont bloqué la circulation dans la rue Knez Milos aux abords du siège du gouvernement et du ministère des Affaires étrangères et ont demandé à être reçus par le Premier ministre, Vojislav Kostunica. La mosquée du centre de Belgrade a également été attaquée et incendiée par de jeunes extrémistes qui s’en sont pris aux forces de l’ordre.

Mobilisation diplomatique à Belgrade

Le gouvernement serbe s’est réuni en session extraordinaire mercredi après-midi, mais le Premier ministre a rejeté la demande formulée par certains députés de déployer l’armée sur les frontières du Kosovo. Le ministre de la Défense, Boris Tadic, a cependant assuré que l’armée était prête à toute éventualité. Il a également confirmé que des renforts de la SFOR de Bosnie se dirigeaient vers le Kosovo. Les autorités serbes demandent une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies, et le ministre des Affaires étrangères, Goran Svilanovic a rencontré les ambassadeurs en poste à Belgrade.

Mercredi soir, la Macédoine a fermé ses frontières avec le Kosovo.