Août 2003

Nouvelle escalade de la violence au Kosovo

Après l'assassinat de deux jeunes Serbes le 13 août à Gorazdevac, les incidents se multiplient à Gracanica comme à Mitrovica. Ces dramatiques incidents fragilisent encore plus les relations entre Serbes et Albanais, alors que le nouveau chef de la Mission des Nations Unies, le Finlandais Harri Holkeri, vient d'arriver au Kosovo.

    

Par Jeta Xharra et Tatajna Matic

Traduit par Pierre DÉRENS

Publié dans la presse : 20 août 2003
Mise en ligne sur notre site : 3 août 2003

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Le 17 août, au moins trois véhicules ont été lapidés et leurs occupants albanais passés à tabac, alors qu'ils traversaient l'enclave serbe de Gracanica, ce que la police des Nations Unies considère comme une réponse aux assassinats de deux jeunes Serbes la semaine précédente.

Les deux victimes de ce crime, Pantelija Dakic, 11 ans, et Ivan Jovonic, 20 ans, ont été tuées le 13 août : un homme inconnu a ouvert le feu sur un groupe de jeunes nageant dans la rivière Bistrica, près du village albanais de Zahac et de l'enclave serbe de Gorazdevac. Dans la fusillade, quatre autres jeunes ont été blessés.

Nemanja Dakic, 9 ans, était dans la rivière au moment de l'attaque. Le lendemain, il nous a raconté : « J'ai entendu une mitrailleuse faire feu et quand je me suis retourné, la tête de mon frère était couverte de sang ».

Deux jours auparavant, on avait tiré sur Dragan Tonic, un Serbe de 45 ans en train de pêcher près du village de Skulanovo, dans le centre du Kosovo. Il est mort le 18 août. Personne n'a été arrêté à la suite de ces incidents.

La violence a monté d'un ton aussi dans la ville divisée de Mitrovica, au nord du Kosovo, où il y a eu quatre explosions en autant de jours. La dernière bombe a éclaté le 16 août devant un immeuble albanais dans le nord de la ville, là où prédominent les Serbes.

À Mitrovica, ces explosions ont eu lieu en dépit de dispositions sécuritaires augmentées par la police onusienne et les gardiens de l'ordre de l'OTAN.

Angela Joseph, porte-parole de la police de la MINUK, estime que les incidents de Gracanica et les explosions de Mitrovica sont une réponse aux meurtres de Gorazdevac. « Je pense qu'il s'agit de représailles de la part de la communauté serbe, par rapport aux morts tragiques des deux Serbes de Gorazdevac », a-t-elle commenté.

Ce déchaînement de violence a nourri une nouvelle guerre verbale des hommes politiques serbes et albanais, chaque camp accusant l'autre de mettre le feu aux poudres.

Le Conseil de Sécurité des Nations Unies s'est réuni le 18 août, et le vice-Premier ministre serbe Nebosja Covic en a profité pour accuser les extrémistes albanais de ce qu'il a qualifié de « campagne pour chasser tous les Serbes du Kosovo et de la Metohjia, de décourager le retour des réfugiés et des personnes déplacées, et d'achever ainsi la purification ethnique de la province ».

Nebosja Vukumirovic, un ancien membre des « gardiens du pont », la milice serbe de Mitrovica, a prétendu que c'était des Albanais et non pas des Serbes qui étaient responsables des explosions récentes dans la ville.

« Les bombes qui ont explosé dans la partie albanaise du nord de Mitrovica sont dûes aux Albanais eux-mêmes, qui voulaient ainsi détourner l'attention du meurtre des Serbes à Gorazdevac ».

Pour sa part, le dirigeant albanais Ramush Haradinaj qui est à la tête de l'Alliance pour l'Avenir du Kosovo (AAK), a prétendu que les forces serbes portaient la responsabilité des morts de Gorazdevac, même si ces morts étaient de jeunes Serbes.

Selon lui, « il ne peut s'agir d'une simple coïncidence, car ceci est intervenu le jour de l'arrivée de Harri Holkeri au Kosovo, le nouveau représentant spécial des Nations Unies ». Ramush Haradinaj a rappelé l'assassinat de trois Serbes à Obilic, il y a moins de deux mois, pendant la visite de Xavier Solana, qui dirige la politique étrangère de l'UE.

La MINUK a exprimé son souci face à l'escalade de la violence. Son porte-parole, Izabella Karlowicz explique : « Un incident tragique incroyable est intervenu à Gorazdevac mais en fait, c'est aux communautés locales de ne pas se laisser entraîner dans le mécanisme de la vengeance. Ces actions violentes préoccupent beaucoup la MINUK. Elles ne vont pas aider les retours des réfugiés serbes qui commençaient, justement parce que ceux-ci avaient reçu une lettre officielle des dirigeants albanais les invitant à revenir ».

La communauté internationale encourage le retour des réfugiés - Serbes, Albanais et autres. Au début juillet, tous les dirigeants albanais du Kosovo ont expliqué que le moment du retour des Serbes était arrivé.

Les dernières violences ont encore détérioré la bien faible confiance que se vouent Serbes et Albanais. Pour Antoneta Kastrati, 22 ans, du village albanais de Zahar, près duquel les deux jeunes Serbes ont été tués, cette fusillade a fait du mal aux relations des deux communautés tout autant qu'aux politiciens de haut niveau.

« Nous avions une façon de vivre avec le village voisin de Gorazdevac. Nous ne nous aimions pas, mais pas au point de nous attaquer. Maintenant, et parce que les assassins se sont enfuis par notre village, on a fouillé nos maisons et l'atmosphère est bien plus tendue qu'auparavant ».

Un chauffeur de taxi de 35 ans, albanais, assis à la terrasse d'un café de Pec, et qui préfère garder l'anonymat, affirme : « J'avais l'habitude de traverser Gorazdevac pour amener mes clients dans quatre ou cinq villages albanais de l'autre côté de la ville, mais après ce qui s'est passé je ne le ferai plus ».