Trois ans après avoir été libéré d'une prison
serbe, il est toujours difficile pour Arsim Uka d'allumer la lumière à son réveil.
« Quand
la lumière s'allumait dans la prison, tout le monde devait se réveiller en vitesse, se
tourner vers le mur, à genoux et les mains dans le dos, ceux qui n'étaient pas assez
rapides étaient battus et torturés », se rappelle-t-il.
Ce souvenir
d'Arsim Uka est l'un parmi des milliers d'autres dont souffrent les survivants du conflit
de 1999 au Kosovo, où plus de 10 000 personnes ont été tuées et un demi-million
déplacées avant que l'intervention militaire de l'OTAN chasse les forces armées serbes.
Quatre ans
après la guerre, les couloirs de l'hôpital psychiatrique de Pristina sont bondés de
gens qui attendent un traitement pour leurs souffrances, ce que les médecins appellent un
désordre psychologique post-traumatique. De fait, il y a bien peu d'aide à leur
disposition. Il n'y a que 30 psychiatres et psychologues dans cette province troublée et
le gouvernement n'a aucun programme pour soigner de tels traumatismes.
Avec le temps
qui passe, loin de s'estomper, le problème devient de plus en plus sérieux comme le
montre une enquête qui révèle que le nombre de cas a doublé entre 2001 et 2002.
Arsim Uka est
venu de Podujevo à 40 kilomètres au nord de Pristina, au Centre pour la réhabilitation
des victimes de tortures. Les dents qui lui manquent lui rappellent les tortures subies
pendant les dix mois de son incarcération dans la prison de Leskovac en Serbie, peine
subie pour enlèvement d'un Serbe.
Il se plaint
de maux d'estomac et d'une profonde dépression accompagnée d'une soif permanente et de
nombreux cauchemars.
Dans un
entretien, il se souvient comment les gardiens de la prison ont obligé les prisonniers à
aller, tout habillé, dans l'eau glacée et puis comment ils les ont obligés à marcher
dans la neige après.
En retenant
ses larmes, il avoue aussi qu'il a été victime de violence sexuelle. « J'ai cru
devenir fou là-bas, cela me hante parfois. » En janvier, le centre a vu le nombre
de patients traités pour troubles mentaux passer de 1 187 en 2001 à 2812 l'an dernier.
Pour le Dr
Ferid Agani, cela n'est pas une surprise : « juste après la guerre, les gens
devaient penser aux problèmes immédiats comme la réunification des familles, la
reconstruction des maisons détruites, affronter la réalité de l'après-guerre et des
choses comme cela, mais maintenant que ces questions ont trouvé au moins des réponses
partielles, les gens commencent à souffrir de problèmes affectifs et
émotionnels ».
En septembre
1999, le Centre pour le Contrôle des Maladies, américain, (CDC) en arrivait à la
conclusion après une enquête sur 1358 personnes que 18,7 % d'entre elles souffraient de
ces problèmes. Un an après une étude similaire révèle que 25 % en souffrent.
Les personnes
les plus susceptibles de souffrir de ces problèmes affectifs et émotionnels sont les
enfants, les femmes violées et celles qui ont perdu de la famille dans la guerre ou qui
ont été détenues et torturées dans les prisons serbes.
L'étude du
CDC estimait que 67 % des Albanais du Kosovo souffraient de désordres psychologiques. Cer
tains revoyaient des scènes vécues accompagnées de peur, d'anxiété et de réactions
émotionnelles incontrôlées.
Pour le Dr
Agani, la plupart des Kosovars essaient de garder leur mal au sein de la famille et ne
demandent pas d'aide médicale avant que les symptômes soient vraiment sérieux. Ce qui
explique que les experts croient que le nombre véritable de personnes souffrant de
dépression grave est beaucoup plus élevé que le montrent les enquêteurs. Les
psychologues rendent ces problèmes de santé mentale responsables du taux élevé de
crime, suicide, violence familiale et divorce.
Le problème
le plus grave, c'est que le Kosovo ne dispose pas de compétence et de personnel pour
soigner ces malades profondément perturbés. Il y a 26 neuro-psychiatres, quatre
cliniques et un psychiatre pour enfants pour tout le Kosovo. Aussi, très peu de malades
bénéficient d'un traitement adéquat.
Les
difficultés sociales, économiques et politiques aujourd'hui sont aussi un facteur de
détresse psychologique pour le Dr Agani.
Selon le
rapport annuel de 2002 du ministère du travail et des affaires sociales, 57,1 % de la
population en âge de travailler est au chômage, la moitié vit au-dessous du seuil de
pauvreté et 12 % n'ont même pas le minimum pour vivre.
Hannu Vuori,
un responsable de la santé pour la Mission des Nations Unies pour le Kosovo reconnaît
que le ministre de la santé n'avait aucun programme ou de fonds spécifiques pour les
personnes souffrant de traumatismes psychologiques.
« De
tels projets n'ont pas été prévus parce que la santé mentale est une affaire très
complexe et nous n'avons pas eu de propositions venant de personnes compétentes dans ce
domaine et prêtes à mettre en route des programmes pour soigner les gens souffrant de
ces traumatismes d'après guerre », avoue le représentant de la santé pour la
MINUK. |