Avril 2003

Kosovo : les blessures psychologiques de la guerre

Par Alma Lama à Pristina

Quatre ans après la fin de la guerre au Kosovo, le nombre de personnes souffrant de graves problèmes psychologiques liés au conflit est croissant.

    

TRADUIT PAR JACQUELINE DÉRENS

Publié dans la presse : 15 avril 2003
Mise en ligne : jeudi 17 avril 2003

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Trois ans après avoir été libéré d'une prison serbe, il est toujours difficile pour Arsim Uka d'allumer la lumière à son réveil.

« Quand la lumière s'allumait dans la prison, tout le monde devait se réveiller en vitesse, se tourner vers le mur, à genoux et les mains dans le dos, ceux qui n'étaient pas assez rapides étaient battus et torturés », se rappelle-t-il.

Ce souvenir d'Arsim Uka est l'un parmi des milliers d'autres dont souffrent les survivants du conflit de 1999 au Kosovo, où plus de 10 000 personnes ont été tuées et un demi-million déplacées avant que l'intervention militaire de l'OTAN chasse les forces armées serbes.

Quatre ans après la guerre, les couloirs de l'hôpital psychiatrique de Pristina sont bondés de gens qui attendent un traitement pour leurs souffrances, ce que les médecins appellent un désordre psychologique post-traumatique. De fait, il y a bien peu d'aide à leur disposition. Il n'y a que 30 psychiatres et psychologues dans cette province troublée et le gouvernement n'a aucun programme pour soigner de tels traumatismes.

Avec le temps qui passe, loin de s'estomper, le problème devient de plus en plus sérieux comme le montre une enquête qui révèle que le nombre de cas a doublé entre 2001 et 2002.

Arsim Uka est venu de Podujevo à 40 kilomètres au nord de Pristina, au Centre pour la réhabilitation des victimes de tortures. Les dents qui lui manquent lui rappellent les tortures subies pendant les dix mois de son incarcération dans la prison de Leskovac en Serbie, peine subie pour enlèvement d'un Serbe.

Il se plaint de maux d'estomac et d'une profonde dépression accompagnée d'une soif permanente et de nombreux cauchemars.

Dans un entretien, il se souvient comment les gardiens de la prison ont obligé les prisonniers à aller, tout habillé, dans l'eau glacée et puis comment ils les ont obligés à marcher dans la neige après.

En retenant ses larmes, il avoue aussi qu'il a été victime de violence sexuelle. « J'ai cru devenir fou là-bas, cela me hante parfois. » En janvier, le centre a vu le nombre de patients traités pour troubles mentaux passer de 1 187 en 2001 à 2812 l'an dernier.

Pour le Dr Ferid Agani, cela n'est pas une surprise : « juste après la guerre, les gens devaient penser aux problèmes immédiats comme la réunification des familles, la reconstruction des maisons détruites, affronter la réalité de l'après-guerre et des choses comme cela, mais maintenant que ces questions ont trouvé au moins des réponses partielles, les gens commencent à souffrir de problèmes affectifs et émotionnels ».

En septembre 1999, le Centre pour le Contrôle des Maladies, américain, (CDC) en arrivait à la conclusion après une enquête sur 1358 personnes que 18,7 % d'entre elles souffraient de ces problèmes. Un an après une étude similaire révèle que 25 % en souffrent.

Les personnes les plus susceptibles de souffrir de ces problèmes affectifs et émotionnels sont les enfants, les femmes violées et celles qui ont perdu de la famille dans la guerre ou qui ont été détenues et torturées dans les prisons serbes.

L'étude du CDC estimait que 67 % des Albanais du Kosovo souffraient de désordres psychologiques. Cer tains revoyaient des scènes vécues accompagnées de peur, d'anxiété et de réactions émotionnelles incontrôlées.

Pour le Dr Agani, la plupart des Kosovars essaient de garder leur mal au sein de la famille et ne demandent pas d'aide médicale avant que les symptômes soient vraiment sérieux. Ce qui explique que les experts croient que le nombre véritable de personnes souffrant de dépression grave est beaucoup plus élevé que le montrent les enquêteurs. Les psychologues rendent ces problèmes de santé mentale responsables du taux élevé de crime, suicide, violence familiale et divorce.

Le problème le plus grave, c'est que le Kosovo ne dispose pas de compétence et de personnel pour soigner ces malades profondément perturbés. Il y a 26 neuro-psychiatres, quatre cliniques et un psychiatre pour enfants pour tout le Kosovo. Aussi, très peu de malades bénéficient d'un traitement adéquat.

Les difficultés sociales, économiques et politiques aujourd'hui sont aussi un facteur de détresse psychologique pour le Dr Agani.

Selon le rapport annuel de 2002 du ministère du travail et des affaires sociales, 57,1 % de la population en âge de travailler est au chômage, la moitié vit au-dessous du seuil de pauvreté et 12 % n'ont même pas le minimum pour vivre.

Hannu Vuori, un responsable de la santé pour la Mission des Nations Unies pour le Kosovo reconnaît que le ministre de la santé n'avait aucun programme ou de fonds spécifiques pour les personnes souffrant de traumatismes psychologiques.

« De tels projets n'ont pas été prévus parce que la santé mentale est une affaire très complexe et nous n'avons pas eu de propositions venant de personnes compétentes dans ce domaine et prêtes à mettre en route des programmes pour soigner les gens souffrant de ces traumatismes d'après guerre », avoue le représentant de la santé pour la MINUK.