Quatre anciens combattants de l'Armée de
Libération du Kosovo (UCK) ont été arrêtés et accusés de crimes de guerre commis
contre des civils serbes et albanais pendant la guerre de 1998-99.
Ce sont les
premières accusations de ce genre contre des guérilleros albanais par le Tribunal de La
Haye. Elles pourraient relancer les troubles dans le protectorat international.
Le personnage
le plus important de ce groupe, l'ancien commandant de l'UCK Fatmir Limaj, dont le nom de
guerre était Celiku (Acier), est maintenant un personnage politique de haut rang dans la
région. Les trois autres hommes, Haradin Balaj, Agim Murtezi et Isak Musliu, étaient des
combattants de grade inférieur et ne sont guère connus du public.
C'est le 24
janvier que le tribunal de La Haye a lancé un mandat d'arrêt contre eux et, le 11
février, les troupes de la KFOR, dirigées par l'OTAN, ont arrêté Isak Musliu. Le 17
février, Haradin Balaj et Agim Murtezi ont été faits prisonniers à Pristina, puis tous
les trois ont été transférés le lendemain au centre de détention du TPI à
Schevenginen.
Cependant,
lorsque la KFOR est allée arrêter Fatmir Limaj, elle ne l'a pas trouvé. Un responsable
de la MINUK explique que l'accusé s'est constitué prisonnier dans la ville slovène de
Kranjska Gora, le 18 février. Il était alors en vacances de ski avec Hashim Thaci, un
autre dirigeant de l'UCK qui est maintenant à la tête du Parti démocratique du Kosovo
(PDK).
La Procureure
en chef du TPI, Carla del Ponte a vertement critiqué la KFOR pour avoir permis à Fatmir
Limaj de sortir du Kosovo alors qu'il était connu qu'il allait être inculpé.
La controverse
a connu son point fort durant une réunion très tendue entre Carla del Ponte et Michael
Steiner, l'administrateur en chef de la MINUK, à l'aéroport de Pristina le 20 février.
Michael
Steiner était en colère parce que Carla del Ponte a refusé de lui permettre d'honorer
une promesse qu'il avait faite au parlement du Kosovo, en s'engageant à ce que Fatmir
Limaj ait le droit de revenir au Kosovo avant d'être transféré à La Haye.
Apparemment,
cette décision a mis le chef de la MINUK très en colère. Il pense en effet qu'une
promesse non tenue ne l'aidera pas dans ses négociations avec les parlementaires du
Kosovo, au cas où d'autres accusations pour crimes de guerre se présenteraient.
Pendant ce
temps, Fatmir Limaj confiait aux médias de Ljubljana qu'il avait décidé de se
constituer prisonnier deux heures après avoir pris connaissance de l'acte d'accusation,
et qu'il serait resté au Kosovo s'il avait su que son arrestation était imminente.
Il a
affirmé : "tout ce que j'ai fait, c'était pour mon peuple. Le sort de
l'individu n'est pas très important. Je considère cette arrestation comme le prix à
payer pour l'indépendance du Kosovo et je suis prêt à le payer".
Les quatre
hommes ont été accusés de neuf chefs d'accusations, parmi lesquels l'emprisonnement
illégal, la torture, les sévices divers et l'assassinat de 35 civils, tant albanais que
serbes, à la prison du camp de Lapusnik, dans le centre du Kosovo, de mai à juin 1998.
L'acte
d'accusation contre Fatmir Limaj contient aussi le commandement et le contrôle de droit
et de fait du personnel de l'UCK dans le camp.
Il affirme son
rôle direct dans l'interrogation, la torture et les sévices contre les prisonniers,
ainsi que celui d'avoir donné l'ordre d'exécuter 22 civils, neuf Serbes et treize
Albanais.
Les
guérilleros de l'UCK ont quitté le camp de Lapusnik le 25 juillet 1998, avant l'arrivée
des troupes serbes. Haradin Balaj et Agim Murtezi ont alors fait marcher 22 prisonniers
dans les montagnes de Berisa, dans la vallée de la Drenica. Ils ont rencontré Fatmir
Limaj en chemin et pris ses ordres.
Peu après,
Haradin Balaj et Agim Murtezi ont libéré neuf prisonniers. Ensemble et avec un
troisième combattant de l'UCK, ils ont fait marcher les treize prisonniers restants
jusqu'à une clairière dans les bois, où ils les ont tous tués, sauf deux d'entre eux.
Le Tribunal détient la liste nominale des morts.
Pendant la
guerre du Kosovo, l'UCK avait toujours nié avec force l'assassinat de civils. Hashim
Thaci insistait sur le fait que ses hommes respectaient strictement les Conventions de
Genève.
Vladan Batic,
le ministre serbe de la Justice, a souvent accusé de crimes de guerre Hashim Thaci ainsi
que les commandants Ramush Haradinaj, le président en exercice de l'Alliance pour
l'Avenir du Kosovo (AAK), et Agim Ceku,qui est maintenant à la tête du Corps de
Protection du Kosovo (TMK).
Cependant,
l'inculpation de Fatmir Limaj peut encore impliquer d'autres personnages importants de
l'UCK. La Procureure en chef a déjà déclaré qu'un certain nombre de personnes sont
concernées, même si leur mise en accusation est retardée parce que des
"témoins" auraient trop peur de témoigner. Dans son dernier rapport au Conseil
de Sécurité de l'ONU, Michael Steiner a affirmé "que des témoins potentiels pour
le Tribunal étaient la cible de groupes extrémistes".
Alors que ces
arrestations ont soulevé beaucoup de spéculations au Kosovo, les réactions de l'opinion
publique étaient clairement partagées. À Pristina, des analystes pensent que l'appel au
calme lancé par Fatmir Limaj et retransmis par la chaîne publique RTK, a convaincu
beaucoup de ses compagnons d'armes de réagir pacifiquement.
Fatmir Limaj a
nié chaque chef d'accusation et confié à la Radiotélévision du Kosovo (RTK) qu'il
allait à La Haye "pour défendre la cause pour laquelle la glorieuse UCK avait
combattu".
Une foule
d'environ 7 000 Albanais, chantant "Liberté pour les Libérateurs" et scandant
"UCK, UCK", s'est rassemblée devant la maison de Fatmir Limaj, à Malisevo,
dans le centre du Kosovo. Ailleurs, tout était relativement calme, même si ces
arrestations prêtaient à confusion.
Pour Dardan,
un habitant de Pristina, les gens ne protestent pas contre les inculpations parce que, au
moins pour l'instant, le TPI a l'air d'être équitable. "Peu de gens pensent que
Fatmir Limaj est coupable, et nous espérons qu'il pourra prouver son innocence à La
Haye".
Pourtant, le
chômeur Fehmi s'insurge contre ces accusations. Selon lui, il s'agit "d'une
tentative de la communauté internationale de prétendre que la guerre de libération du
Kosovo était aussi brutale que celle menée par les Serbes".
Il n'en reste
pas moins que Jakup Krasniqi, un ancien porte-parole de l'UCK, maintenant membre du
gouvernement du Kosovo, a affirmé que les anciens combattants de la guérilla "se
soumettraient à la justice internationale", alors que l'analyste politique Shkelzen
Maliqi soulignait que l'arrestation de Fatmir Limaj ne mettait pas en cause l'UCK dans son
ensemble.
Bajram Kosumi,
député de l'AAK, n'excluait pas la possibilité que des membres de l'UCK aient pu
"dévier" du principe de ne pas faire de tort aux civils à cause d'un manque
"de hiérarchie stricte" dans l'organisation.
Toutefois, un
commentaire du quotidien de Pristina Koha Ditore, dans son édition de mercredi, a
prétendu que le moment choisi pour les arrestations avait été calculé pour coïncider
avec la revendication d'indépendance du protectorat avancées par certains partis
politiques à l'assemblée. Le journal prédit "une crise de la direction politique
du Kosovo et vraisemblablement plus d'arrestations dans la période à venir".
Par
:
Traduit par Pierre DÉRENS
Publié dans la presse
: 20 février 2003
Mise en ligne sur notre site : 3 mars 2003
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