Juin 2002

La "mamie" serbe des soldats belfortains à Mitrovica

À 84 ans, Jelisaveta Roganovic, Serbe du Kosovo, continue de se mesurer aux Albanais qui lui cherchent noise dans son appartement-perchoir de Mitrovica, dont la protection est assurée par des soldats du 35° RI de Belfort.

    

La « Mamie » soignée par un médecin militaire du Valdahon (Doubs). Toujours fanatique de l'ancien régime, elle exhibe fièrement les portraits de Tito et de Milosevic.

   

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Photos Jean Becker

  

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Dans son petit appartement situé au dernier étage de l'ancienne gare de Mitrovica elle conserve précieusement ses livres d'Histoire.

     

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Jelisaveta habite en pleine zone albanaise, dans la partie sud de Mitrovica. Elle refuse d'en partir en dépit des pressions de tous bords et du fait qu'elle serait bien plus en sécurité dans les quartiers nord -essentiellement peuplés de Serbes - de cette ville septentrionale du Kosovo. Pour défendre son petit territoire (une centaine de mètres carrés), Jelisaveta n'hésite pas à lancer sur les intrus des pierres qu'elle a amassées par dizaines sur le seuil de son logement, au dernier étage d'un immeuble appartenant officiellement à l'Etat yougoslave mais aujourd'hui « squatté » par des Albanais. C'est d'ailleurs l'ancienne gare de Mitrovica. Dès qu'elle perçoit un bruit suspect ou que quelqu'un monte sans s'annoncer, Jelisaveta arrose la cage d'escalier de ces dangereux projectiles. La nuit, celle que les soldats du contingent français de la Force multinationale au Kosovo (KFOR) reconnaissent comme leur « mamie », sommeille dans un transat sous une montagne de couvertures, au sommet de l'escalier, prête à bondir à la moindre alerte.

 

24 h sur 24

Ce n'est que durant la journée qu'elle se repose dans un vrai lit disposé à l'intérieur même de l'appartement mais tout près de la porte d'entrée, et toujours entourée d'une panoplie d'ustensiles (tiges métalliques, marteaux, tournevis, bâtons, etc) destinés à lui servir d'arme en cas de besoin. « Il n'y a pas plus grande peine que celle de perdre son pays et son peuple », répète Jelisaveta. Elle affirme qu'elle se jettera par la fenêtre si les Albanais sont sur le point de s'emparer d'elle. Mais, avant d'en arriver là, il faudra déjouer la vigilance des soldats français qui veillent 24 heures sur 24 sur leur « mamie » comme sur un trésor. Un système d'alarme relie l'appartement de l'octogénaire au groupement militaire logé de l'autre côté de la rue. Plusieurs fois par jour, des patrouilles de militaires belfortains et alsaciens, puisque le 152 de Colmar fait partie du contingent de la KFOR, montent chez Jelisaveta pour s'enquérir de sa santé, prendre un café avec elle, procéder à de menues réparations, plomberie ou autre. « Nous devrions lui procurer une télévision », souligne un gradé. Ce sont les militaires qui emmènent la vieille dame dans les magasins serbes pour y faire ses courses. Ce sont eux aussi qui ont récemment rétabli le courant électrique, que l'administration albanaise avait coupé. Ou qui lui ramènent les pierres qu'elle a balancées du haut de sa colère.

 

L'Histoire est sa passion

« Sans les Français, je serais morte », sussure-t-elle, pas mécontente de mobiliser tant de forces autour de sa frêle personne. De leur côté, les officiers mettent en garde quiconque tenterait de faire du mal à Jelisaveta qui, visiblement, les a séduits par son étonnante vivacité, sa prestance et son humour. Jelisaveta réside depuis 53 ans à Mitrovica où, avant d'y prendre sa retraite, elle était employée à la gare ferroviaire. « Je n'ai jamais été mariée, j'ai peu d'amis et toute ma vie je n'ai fait que communiquer avec les trains et les livres », confie-t-elle. De fait, l'une des chambres du fond est jonchée de piles de livres. L'Histoire est sa passion. Les portraits jaunis du chef emblématique yougoslave Josip Broz Tito et de l'un de ses successeurs Slobodan Milosevic trônent sur un meuble. Episodiquement, la « mamie » serbe se voit proposer par un Albanais d'échanger « son » appartement contre celui qu'il possède au nord de Mitrovica mais qu'il ne peut occuper. « A chaque fois qu'il se pointe, je l'insulte copieusement. S'il insiste, je le menace avec mes pierres », se réjouit Jelisaveta. Seize de ses compatriotes sont restés au sud de Mitrovica, la rivière Ibar sert de ligne de démarcation, après les bombardements de l'Otan, qui devaient entraîner en 1999 un exode massif des Serbes et des troupes de Belgrade. Cette poignée d'irréductibles brave quotidiennement l'hostilité de la majorité albanaise.

La « Mamie » soignée par un médecin militaire du Valdahon (Doubs). Toujours fanatique de l'ancien régime, elle exhibe fièrement les portraits de Tito et de Milosevic.

 


 

Sans auteur - photos Jean Becker