Nevena Popovska et Jasmina Sopova,
respectivement journaliste à Skopje (République de Macédoine) et au Courrier de
lUNESCO.

Incendie de la raffinerie de Pancevo, près de Belgrade, après les bombardements de
lOTAN en avril 1999.

Principaux sites touchés avec risque dimpact négatif sur lenvironnement.
Dans la presse : [ autres articles ]
|
Un an après les frappes de lOTAN contre
la Yougoslavie, lampleur des dégâts reste un sujet tabou. On entrevoit cependant
un désastre écologique aux graves conséquences pour la santé.
LAlliance atlantique a officiellement reconnu, le 21 mars 2000, avoir utilisé des
obus à uranium appauvri en Yougoslavie. Le Kosovo et le sud de la Serbie ont été
particulièrement touchés par ces armes radioactives, dont la spécificité est de
libérer un nuage de poussière duranium qui contamine leau et la chaîne
alimentaire. Inhalée ou ingérée, cette poussière se fixe dans le corps humain pendant
un à trois ans, décuplant les risques de stérilité, de malformations chez les
nouveau-nés et de cancers. Ce type darmement a été utilisé pour la première
fois durant la guerre du Golfe, début 1991.
Du 24 mars au 10 juin 1999, laviation de lOTAN a officiellement effectué
environ 31 000 sorties pour bombarder la Fédération yougoslave (Serbie, Monténégro,
Voïvodine et Kosovo). Des milliers de missiles ont été tirés. Certains ont fini leur
course en Bulgarie et en Macédoine voisines. De retour de mission, de nombreux pilotes,
se sont débarrassés dune centaine de bombes au-dessus de lAdriatique, au
large des eaux territoriales croates, slovènes et italiennes. Daprès lOTAN,
1 600 bombes à fragmentation ont été larguées, libérant 200 000 mini-bombes. Des
milliers de ces bombes, dont lutilisation contre les populations civiles est
interdite par la Convention de Genève du 10 octobre 1980, nont pas explosé, se
transformant ainsi en autant de mines antipersonnel. Près de 200 Kosovars en sont déjà
morts.
Un an après les frappes, on ne connaît toujours pas précisément lampleur des
dégâts environnementaux. Mais, daprès les informations confirmées jusquà
présent, un véritable désastre écologique sannonce.
Selon lEquipe spéciale pour les Balkans (ESB)1 des Nations unies, quatre
sites ont été particulièrement touchés par la pollution: Pancevo (à 20 km de
Belgrade), Novi Sad (capitale de la Voïvodine), Kragujevac (au sud de la Serbie) et Bor
(près de la frontière avec la Bulgarie).
Le complexe pétrochimique de Pancevo a été attaqué une dizaine de fois. Un communiqué
du maire, Srdjan Mirkovic, publié à lautomne 1999 dans la revue yougoslave
Petroleum Technology Quarterly, annonce que «la frappe directe sur le dépôt contenant
1500 tonnes de chlorure de vinyle monomère (CVM) a provoqué un incendie qui a duré huit
heures, et a détruit environ 800 tonnes» de ce produit cancérigène. «Lorsquil
brûle, explique un médecin de Belgrade, il dégage, entre autres, de lacide
chlorhydrique, qui provoque des bronchites chroniques, des dermatites et des gastrites,
ainsi que des dioxines (polluants organiques les plus toxiques au monde) et, dans certains
cas, du phosgène, utilisé autrefois comme agent de guerre chimique».
Amoniac et mercure à Pancevo
Les dépôts
dammoniac, destinés à la fabrication dengrais, ont également été visés.
Sils navaient pas été vidés peu avant par précaution, leur explosion
aurait tué toute forme de vie à 10 km à la ronde, lexposition directe au gaz
dammoniac étant fatale pour lhomme. On a donc évité le pire, mais la faune
du Danube, où ce liquide sest répandu, a été détruite jusquà 30 km en
amont. En outre, «plus de 1 000 tonnes dhydroxyde de sodium (soude caustique)
sy sont écoulées», selon le rapport du Centre régional de lEurope de
lEst pour lenvironnement (REC). Depuis lors, la pêche a complètement disparu
et lirrigation des cultures est devenue problématique. Les fonds sablonneux du
fleuve ont emprisonné des métaux lourds, toxiques même à de très faibles
concentrations, pour des dizaines dannées. Outre la Yougoslavie, la Roumanie et la
Bulgarie sont concernées.
«Le sol a été contaminé par environ 100 tonnes de mercure», précise le maire de
Pancevo. Ce métal extrêmement toxique sintroduit dans la chaîne alimentaire et
détruit les organes qui laccumulent, comme les reins, le foie et le système
nerveux. De son côté, lESB estime ce chiffre à huit tonnes seulement. Elle ajoute
que, suite aux frappes sur la seule raffinerie de pétrole, «80 000 tonnes
dhydrocarbures et de produits pétroliers ont brûlé, dégageant des substances
nocives dans latmosphère». La concentration de CVM dans lair était 10 600
fois supérieure à la norme tolérée, selon lInstitut pour la santé publique de
Belgrade. A cette époque, les vents soufflaient de lOuest: la Roumanie et la
Hongrie ont donc été touchées.
Le plus grave est à
venir.
Les trois autres «points
écologiquement chauds» ont subi un sort comparable. Entre le 5 avril et le 9 juin, la
raffinerie de Novi Sad a été bombardée une douzaine de fois. Environ 73 000 tonnes de
pétrole brut et de produits dérivés ont brûlé ou fui dans les canalisations. Les eaux
souterraines polluées se sont infiltrées dans les puits situés à proximité de la
raffinerie, privant la population deau potable.
A Kragujevac, les frappes sur lusine dautomobiles Zastava, «ont provoqué une
pollution de grande ampleur, touchant les sols, les eaux et latmosphère», rapporte
lESB qui a détecté des niveaux élevés de biphényles polychlorés (PCB).
Interdites au milieu des années 80, ces substances toxiques sont encore présentes dans
les vieux équipements électriques. Elles se lient aux sédiments dans les cours
deau et ne se dégradent quau bout de plusieurs années.
A Bor, une contamination aux PCB et une grave pollution atmosphérique due à des
émissions de dioxyde de soufre (dangereux pour les asthmatiques) ont été constatés.
Les bombardements des mines de cuivre, de la centrale électrique et du dépôt
dhydrocarbures, situés à proximité de cette ville, près de la frontière
bulgare, ont affecté aussi ce pays. Le journal 24 Heures de Sofia rapportait que des
oiseaux tombaient du ciel, tués par le nuage toxique qui a occasionné des pluies acides.
En même temps, au Kosovo, les paysans ont vu les arbres se dénuder au milieu du
printemps.
Toute la chaîne alimentaire a été atteinte: du fourrage au bétail, au lait et à la
viande; des fruits et légumes aux consommateurs. Bronchites chroniques, asthme, eczémas,
diarrhées, complications thyroïdiennes ont déjà été décelés, mais les autorités
serbes préfèrent les occulter. En fait, les plus graves problèmes de santé sont à
venir.
1. Voir le rapport du Programme des Nations
unies pour lenvironnement (PNUE) et du Centre des Nations unies pour les
établissements humains (CNUEH), publié en 1999, sous le titre Le conflit du Kosovo,
ses conséquences sur lenvironnement et les établissements humains.
|