Mai 2000

Désastre anticipé dans les Balkans 

Un an après les frappes de l’OTAN contre la Yougoslavie, l’ampleur des dégâts reste un sujet tabou. On entrevoit cependant un désastre écologique aux graves conséquences pour la santé.  

    

Nevena Popovska et Jasmina Sopova, respectivement journaliste à Skopje (République de Macédoine) et au Courrier de l’UNESCO.

  


Incendie de la raffinerie de Pancevo, près de Belgrade, après les bombardements de l’OTAN en avril 1999.

  

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Principaux sites touchés avec risque d’impact négatif sur l’environnement.

 

     

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Un an après les frappes de l’OTAN contre la Yougoslavie, l’ampleur des dégâts reste un sujet tabou. On entrevoit cependant un désastre écologique aux graves conséquences pour la santé.
L’Alliance atlantique a officiellement reconnu, le 21 mars 2000, avoir utilisé des obus à uranium appauvri en Yougoslavie. Le Kosovo et le sud de la Serbie ont été particulièrement touchés par ces armes radioactives, dont la spécificité est de libérer un nuage de poussière d’uranium qui contamine l’eau et la chaîne alimentaire. Inhalée ou ingérée, cette poussière se fixe dans le corps humain pendant un à trois ans, décuplant les risques de stérilité, de malformations chez les nouveau-nés et de cancers. Ce type d’armement a été utilisé pour la première fois durant la guerre du Golfe, début 1991.
Du 24 mars au 10 juin 1999, l’aviation de l’OTAN a officiellement effectué environ 31 000 sorties pour bombarder la Fédération yougoslave (Serbie, Monténégro, Voïvodine et Kosovo). Des milliers de missiles ont été tirés. Certains ont fini leur course en Bulgarie et en Macédoine voisines. De retour de mission, de nombreux pilotes, se sont débarrassés d’une centaine de bombes au-dessus de l’Adriatique, au large des eaux territoriales croates, slovènes et italiennes. D’après l’OTAN, 1 600 bombes à fragmentation ont été larguées, libérant 200 000 mini-bombes. Des milliers de ces bombes, dont l’utilisation contre les populations civiles est interdite par la Convention de Genève du 10 octobre 1980, n’ont pas explosé, se transformant ainsi en autant de mines antipersonnel. Près de 200 Kosovars en sont déjà morts.
Un an après les frappes, on ne connaît toujours pas précisément l’ampleur des dégâts environnementaux. Mais, d’après les informations confirmées jusqu’à présent, un véritable désastre écologique s’annonce.
Selon l’Equipe spéciale pour les Balkans (ESB)1 des Nations unies, quatre sites ont été particulièrement touchés par la pollution: Pancevo (à 20 km de Belgrade), Novi Sad (capitale de la Voïvodine), Kragujevac (au sud de la Serbie) et Bor (près de la frontière avec la Bulgarie).
Le complexe pétrochimique de Pancevo a été attaqué une dizaine de fois. Un communiqué du maire, Srdjan Mirkovic, publié à l’automne 1999 dans la revue yougoslave Petroleum Technology Quarterly, annonce que «la frappe directe sur le dépôt contenant 1500 tonnes de chlorure de vinyle monomère (CVM) a provoqué un incendie qui a duré huit heures, et a détruit environ 800 tonnes» de ce produit cancérigène. «Lorsqu’il brûle, explique un médecin de Belgrade, il dégage, entre autres, de l’acide chlorhydrique, qui provoque des bronchites chroniques, des dermatites et des gastrites, ainsi que des dioxines (polluants organiques les plus toxiques au monde) et, dans certains cas, du phosgène, utilisé autrefois comme agent de guerre chimique».


Amoniac et mercure à Pancevo

Les dépôts d’ammoniac, destinés à la fabrication d’engrais, ont également été visés. S’ils n’avaient pas été vidés peu avant par précaution, leur explosion aurait tué toute forme de vie à 10 km à la ronde, l’exposition directe au gaz d’ammoniac étant fatale pour l’homme. On a donc évité le pire, mais la faune du Danube, où ce liquide s’est répandu, a été détruite jusqu’à 30 km en amont. En outre, «plus de 1 000 tonnes d’hydroxyde de sodium (soude caustique) s’y sont écoulées», selon le rapport du Centre régional de l’Europe de l’Est pour l’environnement (REC). Depuis lors, la pêche a complètement disparu et l’irrigation des cultures est devenue problématique. Les fonds sablonneux du fleuve ont emprisonné des métaux lourds, toxiques même à de très faibles concentrations, pour des dizaines d’années. Outre la Yougoslavie, la Roumanie et la Bulgarie sont concernées.
«Le sol a été contaminé par environ 100 tonnes de mercure», précise le maire de Pancevo. Ce métal extrêmement toxique s’introduit dans la chaîne alimentaire et détruit les organes qui l’accumulent, comme les reins, le foie et le système nerveux. De son côté, l’ESB estime ce chiffre à huit tonnes seulement. Elle ajoute que, suite aux frappes sur la seule raffinerie de pétrole, «80 000 tonnes d’hydrocarbures et de produits pétroliers ont brûlé, dégageant des substances nocives dans l’atmosphère». La concentration de CVM dans l’air était 10 600 fois supérieure à la norme tolérée, selon l’Institut pour la santé publique de Belgrade. A cette époque, les vents soufflaient de l’Ouest: la Roumanie et la Hongrie ont donc été touchées.

 

Le plus grave est à venir.

Les trois autres «points écologiquement chauds» ont subi un sort comparable. Entre le 5 avril et le 9 juin, la raffinerie de Novi Sad a été bombardée une douzaine de fois. Environ 73 000 tonnes de pétrole brut et de produits dérivés ont brûlé ou fui dans les canalisations. Les eaux souterraines polluées se sont infiltrées dans les puits situés à proximité de la raffinerie, privant la population d’eau potable.
A Kragujevac, les frappes sur l’usine d’automobiles Zastava, «ont provoqué une pollution de grande ampleur, touchant les sols, les eaux et l’atmosphère», rapporte l’ESB qui a détecté des niveaux élevés de biphényles polychlorés (PCB). Interdites au milieu des années 80, ces substances toxiques sont encore présentes dans les vieux équipements électriques. Elles se lient aux sédiments dans les cours d’eau et ne se dégradent qu’au bout de plusieurs années.
A Bor, une contamination aux PCB et une grave pollution atmosphérique due à des émissions de dioxyde de soufre (dangereux pour les asthmatiques) ont été constatés. Les bombardements des mines de cuivre, de la centrale électrique et du dépôt d’hydrocarbures, situés à proximité de cette ville, près de la frontière bulgare, ont affecté aussi ce pays. Le journal 24 Heures de Sofia rapportait que des oiseaux tombaient du ciel, tués par le nuage toxique qui a occasionné des pluies acides. En même temps, au Kosovo, les paysans ont vu les arbres se dénuder au milieu du printemps.
Toute la chaîne alimentaire a été atteinte: du fourrage au bétail, au lait et à la viande; des fruits et légumes aux consommateurs. Bronchites chroniques, asthme, eczémas, diarrhées, complications thyroïdiennes ont déjà été décelés, mais les autorités serbes préfèrent les occulter. En fait, les plus graves problèmes de santé sont à venir.


1. Voir le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Centre des Nations unies pour les établissements humains (CNUEH), publié en 1999, sous le titre Le conflit du Kosovo, ses conséquences sur l’environnement et les établissements humains.